Le Petit Edison

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Le journal de Nogent qui cartonne

L’interview d’Eddy : Micheline, l’enfant cachée de la seconde guerre mondiale

Nous avons eu la grande chance de rencontrer Micheline qui a été une enfant cachée à la campagne, parce que juive, pendant la seconde guerre mondiale. Elle a grandi au Perreux et à Nogent et nous a raconté son histoire. Nous avons reçu, en l’écoutant, une vraie leçon de vie qui nous marquera pour toujours.

Pouvez-vous nous raconter votre histoire?
Mes parents venaient de Pologne. Ils ont dû partir de leur pays à cause de l’antisémitisme et de la misère. Ils se sont rencontrés ensuite en 1933 à Paris et se sont mariés. Je suis née en 1935. Ils se sont alors installés dans une maison au Perreux où j’habite encore. A cette époque au Perreux, il y a encore des fermes. Mon père avait alors fait une demande de naturalisation qui a pris du temps, puis avec la guerre, les dossiers n’ont plus été traités. Lorsque la guerre a commencé, beaucoup d’étrangers juifs et non juifs se sont engagés pour défendre la France et défendre la liberté, l’égalité, la laïcité. En 1939 mon père s’est donc engagé volontairement. Il y avait tellement de ces immigrés qui adoraient la France et voulaient la
défendre qu’on ne trouvait plus assez de ceinture pour les uniformes. Ils ont dû alors utiliser des cordons. Les allemands pour se moquer d’eux les appelaient le “régiment ficelle”. Mais la guerre a été courte, mon père a été démobilisé et est rentré à la maison.
J’adorais mon père, tous mes premiers souvenirs sont rattachés à lui. Il m’a appris à nager dans la Marne, à faire du vélo.
Un jour mon père a reçu une lettre d’apparence banale qui lui demandait de se rendre au commissariat (qui était à l’époque à l’emplacement du conservatoire de Nogent actuel). Ma mère a eu peur et lui a demandé de ne pas y aller, mais il avait confiance. Il a dit, “c’est la France”. Malheureusement, c’était un piège. Il a été arrêté et emmené au camp de Beaune la Rolande. Quand il a été blessé, ma mère a pu lui rendre visite à l’infirmerie, et elle lui a demandé d’essayer de se sauver mais il a refusé. Il pensait qu’il risquait juste d’être envoyé pour travailler en Allemagne et craignait les représailles pour nous. J’avais six ans à l’époque et il m’a dit “occupes toi bien de maman”. Il pensait à nous. Mais on n’imaginait pas alors ce qui allait arriver.

Que s’est-il passé pour vous alors ?
A ce moment-là, fin juin 1942, j’ai été confrontée à l’antisémitisme. J’aimais beaucoup l’école et j’y avais beaucoup d’amies. J’avais même reçu le prix de la camaraderie. Mais un jour, on a dû porter l’étoile juive. Je ne voulais pas la mettre et la dame qui l’a cousue était mal à l’aise. Pour me rassurer elle m’a dit “regarde, c’est joli sur ton gilet bleu”. Mais en arrivant à l’école, une fille a dit “regarde, la juive “ d’un air méchant. La maîtresse lui a alors répondu “c’est méchant ce que tu as fait “ et cela m’a fait du bien. J’ai pensé “la justice est de mon côté”.
Et puis, une nuit, le 16 juillet 1942, on a sonné à la cloche. Je dormais avec ma maman depuis que mon père avait été arrêté. Ma mère allait ouvrir car elle pensait que mon père avait été libéré, lorsqu’elle a aperçu une voiture de police et des Messieurs en civil. Elle était terrorisée, je sentais son cœur battre. Ils ont essayé de défoncer la porte mais n’ont pas réussi. Dès qu’ils sont partis ma mère a pris une valise et on s’est enfuies chez un oncle à Malakoff. On a su par la suite qu’ils étaient revenus avec un serrurier mais heureusement, on était déjà parties. Ce jour-là, on aurait dû être embarquées lors de la rafle du Vel d’hiv et nous aurions été déportées. Les Allemands avaient demandé seulement les adultes, c’est le régime de Vichy qui a aussi envoyé les enfants. Les juifs avaient été nombreux à s’enregistrer auprès des mairies, à porter l’étoile juive car ils sont respectueux des lois. On ne savait pas ce qui allait nous arriver.
On s’est donc retrouvées chez mon oncle qui avait été naturalisé avant 1927 (tous ceux qui avaient été naturalisés après 1927 ont perdus leur naturalisation avec le régime de Vichy). Les adultes ont discuté pour trouver un moyen de sauver les enfants. Nous étions cinq cousins, entre cinq et quatorze ans. Ils nous ont alors envoyé dans une ferme, dans un village où la guerre semblait bien loin, tandis que ma mère est restée à Malakoff. Là-bas, on vivait un peu comme au 19ème siècle, il y avait les vendanges, les ouvriers arrivaient. On allait à l’église. Il y a eu beaucoup d’enfants juifs cachés dans des villages, des couvents, des églises, un ami dans la police venait nous prévenir quand il y avait un danger. Ces gens risquaient leurs vies pour nous sauver, c’était très courageux. Nous sommes restés trois ans dans ce village.

Et après, comment s’est passé votre retour, à la fin de la guerre ?
Lorsque nous sommes rentrées à la maison, elle avait été complètement pillée. Elle avait été réquisitionnée pendant la guerre. Ma mère pensait “quand ton père rentrera, il ne trouvera plus rien”. Mais il n’est jamais rentré. Dans la dernière lettre que mon père avait envoyée, il lui disait qu’il partait pour une destination inconnue. Et il lui a demandé de m’acheter une bague pour mes treize ans.
Le premier 14 juillet après la guerre, ma mère avait mis un drapeau tricolore pour la France et un drapeau bleu et blanc pour les juifs. Elle m’a dit “maintenant que la guerre est finie, on a le droit d’être juifs”.
Après la guerre, c’était difficile. D’abord, ne plus avoir mon père que j’adorais. Ensuite, on se demandait qui on était, nous les enfants. J’avais un grand-père rabbin, puis on avait dû porter un autre nom, aller à l’église … Le rapport à la religion aussi était différent. Ma mère me disait “il était où Dieu, à Auschwitz ? ”Mais on continuait de faire les grandes fêtes juives. J’ai transmis cela à mes enfants. Mes fils ont fait leur bar mitsva très sérieusement. Et une de mes petites filles a souhaité porter la bague que mon père voulait m’offrir pour sa bat mitsva. Elle m’a dit, “ton père a été persécuté parce que juif, comme cela il sera présent à ma cérémonie”.

Comment cela a-t-il influencé votre vie et votre engagement pour la transmission de la mémoire ?
Je n’ai plus jamais supporté l’injustice et surtout envers les femmes et les enfants. C’est pour cela que je suis devenue assistante sociale.
Ensuite, j’ai voulu témoigner. Le premier témoignage que j’ai fait était dans une classe de mon école, au Perreux, là où enfant, j’avais été traitée de sale juive. Pourquoi s’en est-on pris aux juifs ? Je ne sais pas. Il y a beaucoup d’endoctrinement derrière. Et ce qui se passe aujourd’hui avec la montée de l’antisémitisme me fait peur. On commence toujours par s’en prendre aux juifs, mais l’antisémitisme est le signe que la société va mal. Je m’investis beaucoup auprès des enfants pour leur expliquer. Et puis, on a créé une association des enfants cachés.
Depuis, j’ai aussi une certaine philosophie. Dans les moments difficiles, je me dis “tu aurais pu mourir
à sept ans, tout le reste est un cadeau”.

Madely : « Micheline a survécu a tellement d’épreuves, elle a eu une vie difficile”

Eloïse : « Elle a survécu à la guerre mais a été séparée de ses parents et ça m’a vraiment touchée”

Tea : « Entendre parler de la guerre par une personne qui l’a vraiment vécue, c’était très émouvant, c’est un témoin direct, on sait que ça s’est vraiment passé. L’histoire de la bague m’a beaucoup touchée”

Hela : « J’ai de la peine qu’elle ait dû quitter sa maison, être séparée de ses parents et qu’elle n’ait pas eu son père à ses côté après la guerre”

Luna : « J’ai été impressionnée par son histoire, aussi de savoir que cela se passait dans ma ville il y a 80 ans. Elle parle de lieux que l’on fréquente comme le conservatoire qui était un commissariat de police. Et aussi elle a gardé une belle vision de la vie”

Colin : « Son témoignage était impressionnant ! elle est passée tellement près de la mort”

Noam : « J’ai appris beaucoup sur la guerre grâce à elle. C’était méchant qu’on se moque d’elle avec l’étoile juive”

Agathe : « J’ai été émue pendant tout l’interview”